Que le cauchemar commence!

Ce texte fait écho à Vie de « familles » à Ville-Émard qu’il est préférable de lire avant celui-ci. On peut aussi consulter le sommaire Pour une lecture suivie de ce blogue

Lorsque je repense à notre arrivée à Montréal, me revient à l’esprit cette impression de vivre en état d’urgence. Un tourbillon d’état d’urgence. Un cauchemar… Je me revois à l’hôpital avec François, écrasée dans un fauteuil, me faisant réveiller à tout moment pour me faire poser mille questions. J’étais en plein décalage horaire et je n’arrivais pas à rester éveillée. Je n’arrive pas à me rappeler combien de jours nous y sommes restés: cinq? sept? Sais plus. Ce dont je me souviens c’est de ne pas avoir eu le temps « d’atterrir ». Je me rappelle être entrée dans la maison de la rue Dumas et de la (mauvaise) surprise de constater à quel point j’étouffais dans cette minuscule  maison. Je me souviens aussi de la « déconfiture » des jumeaux qui ont dû dormir au sous-sol, dans un bazar pas possible… Quel choc !!! Ce n’était pas du tout à ça que je m’étais préparée. La maison n’était pas affreuse, mais après avoir vécu plus de 4 années dans d’immenses maisons entourées de grands espaces verts, on se sent plutôt comme un lion en cage dans une petite maison à Ville-Émard !!! Et que dire de la ville: OUF! Non, décidément, j’étais plongée en plein cauchemar et j’allais finir par me réveiller ! Lors du voyage de retour de notre premier séjour à Saguenay, je me souviens encore de l’angoisse qui m’avait envahie lorsque nous avons franchi le Pont Champlain. C’était aussi oppressant qu’une crise de claustrophobie dans un ascenseur. Je n’aimais définitivement pas la ville de Montréal et même si au cours des années je me suis habituée à cette vie citadine, je n’aimais toujours pas la ville…

Une des choses à laquelle je n’ai jamais réussi à m’habituer, c’était de perdre de vue les garçons dès qu’ils mettaient le pied dehors. Ne pas savoir où ils étaient, ce qu’ils faisaient, avec qui ils étaient, m’était insupportable. Comment ne pas devenir constamment angoissée par le fait de ne plus rien contrôler de leur vie à l’extérieur de la maison. J’aurais dû faire confiance, mais j’en étais incapable. Ils découvraient un tas de réalités auxquelles ils n’avaient pas été préparés eux non plus. Comment les guider, les conseiller, les aider à développer leur sens critique, apprendre à faire les bons choix? Ils n’écoutaient déjà plus leurs « vieux » parents qui ne « comprenaient-rien-à-la-vraie-vie » ! Comment les préserver de tous les dangers potentiels ? Ils avaient une telle soif de liberté… J’avais constamment la peur qu’un agent de police sonne à la porte pour me prévenir de la mort de l’un d’eux. C’était ATROCE. Je me suis mise à faire de plus en plus d’insomnie… Je suis devenue de plus en plus épuisée. C’était véritablement cauchemardesque!!! Il y avait aussi François qui nécessitait tellement de soins à la maison et de suivis médicaux de toutes sortes. C’était difficile de conserver mon énergie et ma quiétude.

Avec Christian, au début ce ne fut pas trop difficile. Nous avions conçu un aménagement facilitant son autonomie pour le déjeuner et le départ à l’école le matin. Mais peu à peu, après la première année, les choses ont commencé à se dégrader avec lui aussi. Notre relation est devenue de plus en plus conflictuelle… C’est très dur de se sentir autant détestée. Et Christian me donnait cette impression d’être une méchante sorcière… Et je crois qu’avec lui, je le suis finalement devenue  peu à peu! Aujourd’hui je comprends – et j’accepte mieux – que notre relation ne pouvait pas vraiment être celle d’une maman avec son fils puisque je n’avais pas eu avec lui ce temps pour l’attachement que j’ai eu avec les autres. À 12 ans, la maman commence à prendre une distance nécessaire avec son enfant pour le laisser grandir. Et Christian lui, voulait être un bébé, comme François. Un bébé que j’aurais cajolé, embrassé, pouponné ! Comment répondre à son besoin d’être aimé tout en mettant la distance physique nécessaire entre une mère et son fils ??? Cette question me taraudait et nous en souffrions tous les 2. Il a lentement développé envers moi une telle colère, que nous avons dû demander un placement d’urgence pour éviter qu’il ne finisse par me frapper. C’est malheureux et je le regrette beaucoup, même si je sais que c’était nécessaire pour tout le monde. François et son petit frère (notre prochaine histoire d’adoption !) étaient terrorisés par les violentes colères de Christian. Je n’ai jamais cessé de ressentir tristesse et déception… Je suis profondément déçue de ne jamais avoir pu l’aimer comme une maman. Et même si j’arrive tant bien que mal à me pardonner, cette douleur à mon coeur de mère ne s’efface pas.

Heureusement, à travers toutes ces intempéries, François était notre rayon de soleil. Il continuait de nous éblouir de ses sourires et notre attachement à lui était notre regain d’énergie. Je trouvais extraordinaire de constater que prendre soin de lui me donnait de l’énergie. Morale du moins. Et on sait que le moral arrive à maintenir l’énergie physique pas trop mal.

Avec les jumeaux, ce qui m’aidait à tenir le coup, c’est que nous arrivions tout de même à trouver des temps d’échanges paisibles. J’allais régulièrement leur faire de petites visites sur « leur territoire »… À la pénombre du soir, nos échanges dans leur chambre étaient pour moi nourrissants. Ils me permettaient de pouvoir encore les regarder comme de vrais êtres humains et pas comme ces horribles monstres qu’ils me donnaient à voir!!!

Ce qui est étrange, c’est de me dire que si j’avais à revivre tout ça, dans le même contexte d’âge et d’ignorance du futur, je le referais. Non parce que je suis masochiste, pas le moins du monde! Mais parce c’est la foi qui m’a permis de passer à travers ce cauchemar. Mon « OUI » au Père, à chaque instant. Mon « oui » à travers mes larmes. Mon « oui » à travers les doutes. Mon « oui » à travers les peurs. Mon « oui » à travers la souffrance de ne pas être la mère que j’aurais voulu pour mes enfants. Mais surtout et par-dessus tout : mon « oui » à travers cette petitesse qui me faisait avoir besoin de mon Dieu. Être petite et vulnérable devant Lui est ce qui m’a sauvée. Il est Grand… Il est Fort et Tout-Puissant : j’en suis la preuve vivante ! Sans lui, je sais avec autant de certitude que j’ai de foi que je serais six pieds sous terre…