Lettre à mon fils bien-aimé

steve-stef-15Je t’écris cette lettre à toi, mais elle s’adresse autant à toi qu’à l’un ou l’autre de tes quatre frères. Je l’écris pour tenter de corriger ce qui t’est probablement apparu comme une perception négative de la personne que tu es, à travers toutes mes paroles, les témoignages que j’ai donnés ou que j’ai mis par écrit ici sur ce blogue ou ailleurs. Je te dois des excuses et je vais profiter de cette tribune pour le faire. J’espère que tu le liras jusqu’à la fin.

Au cours des derniers jours, alors que j’ai exprimé à quel point je me sentais éprouvé par ce qui m’arrivait, je n’ai pas eu le bon réflexe du papa qui devrait d’abord se mettre à la place du fils pour comprendre ce qui arrive à partir de son point de vue. Je vais alors tenter de le faire ici.

Tu as été adopté, c’est un fait. Si cela t’est arrivé, c’est parce que ta mère (ton père aussi forcément) n’a pu te garder auprès d’elle. Difficile de déterminer si c’est vraiment elle qui a fait ce choix ou si ce sont plutôt les circonstances qui l’ont forcée à l’assumer. Je penche plutôt pour les circonstances. Tu es donc le fils d’une mère et d’un père qui ne sont ni ta mère adoptive ni moi-même. Nous avons toujours respecté ta mère, car grâce à elle tu es venu en ce monde et à cause d’elle (et d’autres facteurs) c’est à moi (à nous) que tu as été confié.

Tu es arrivé déjà un peu « fait ». Ton identité était déjà bien claire. Tu avais un passé dans lequel je n’avais pas d’entrée, c’était ton mystère. Tu te présentais avec de belles qualités. Sur le plan physique, tu étais joli garçon, attirant, habile en toutes sortes de choses. Les gens ne cessaient de dire à quel point j’avais eu de la chance de tomber sur toi! Tu étais vif, intelligent, curieux, joueur. Tu avais le don de me toucher au plus profond de mon être. Je t’ai bercé de longues heures, je t’ai raconté des histoires, j’ai inventé pour toi des chansons, je t’ai défendu. Tu donnais du sens à ma vie. Tu m’as apporté ce qui allait devenir l’élément principal de ma vocation en tant qu’être humain, celle d’être papa.

Tant que j’étais dans cette dynamique où tout se passait entre toi et moi, je n’avais que du bonheur. Tu me rendais heureux, c’est le cadeau que tu m’as donné et que tu as sans cesse renouvelé, même depuis que tu es devenu plus grand. À cela s’ajoute la fierté que je ressens en te regardant aujourd’hui.

Mais voilà, il y a autre chose aussi. Était-ce le traumatisme de l’abandon? Était-ce la part de ta génétique qui te rendait si différent? Était-ce simplement le garçon que tu allais devenir peu importe le papa que tu aurais eu? Je ne sais pas pourquoi, même si j’ai beaucoup cherché des explications, mais « ta différence » m’inquiétait, tout comme elle angoissait ta mère.

Dès que nous avons trouvé un peu d’espace pour parler de ce que nous vivions, nous avons surtout parlé de nos limites, de nos difficultés, de nos blessures. Mais nous ne l’avons pas fait toujours de la bonne manière. Nous avons le plus souvent décrit tes comportements, tes attitudes, tes mauvais coups, les commentaires que nous recevions de l’école et de partout. Je reconnais que j’ai grandement contribué à donner une image négative de toi. Chaque fois qu’on me demandait de parler de toi, je le faisais souvent en mettant de l’avant ce que je trouvais dur. Je ne vais pas le répéter ici, car tous les articles de ce blogue en disent déjà trop. Je veux juste reconnaître qu’en me mettant à ta place, si j’avais entendu le quart de tout ce que mon papa et ma maman on dit de moi, je vivrais probablement un grave problème d’estime personnelle. Je peux comprendre, de ton point de vue, que tout ce que j’ai pu dire et partager de ma vie avec toi puisse te paraître comme du « rabaissement ». Je peux saisir à quel point tu n’en peux plus de me voir parler de toi dans la famille ou à mes amis, et encore moins en public, comme sur ce blogue, en te pointant du doigt comme « un problème ». Je sais bien que ta blessure est profonde. Ton papa, celui qui t’a choisi, qui t’a adopté, n’a cessé de te présenter comme « un problème à corriger ». Je ne peux pas t’empêcher de ressentir cela, mais comme je le voudrais!

62IMGP1315Je ne sais pas si cela t’est possible, en ce moment, mais je voudrais que tu fasses toi aussi l’exercice de te mettre à ma place. La première chose que j’aimerais que tu retiennes, et peut-être la seule, c’est que depuis le premier moment de notre rencontre, je t’ai aimé et je n’ai jamais cessé de t’aimer toujours plus. On ne le dit jamais assez, je le sais bien, mais je te le redis ici, une fois de plus, et devant ce public qui a pu lire tout ce que j’ai écrit sur toi. Aimer ne veut pas dire être capable de tout assumer… Je suis un papa anxieux. J’ai toujours été inquiet pour toi, pour ton avenir. J’ai toujours voulu te soutenir, être là quand tu avais besoin. Je t’ai accompagné lorsque tu faisais des choix contre ma volonté. Je t’ai recueilli lorsque tu te remettais en question. Je t’ai ouvert mon coeur et j’ai pris soin du tien.

Mais je n’étais que moi-même. Ni un saint ni un surhomme. Rien que moi. J’avais choisi avant toi la femme de ma vie, celle qui a accepté après un long cheminement de devenir mère adoptive, avec tout ce qu’elle était elle aussi. Rien qu’elle. Ensemble, bien imparfaitement, nous avons été là. Nous avons cherché à comprendre. Nous avons demandé de l’aide. Nous avions besoin d’être compris dans ce que nous vivions. Pour cela, il a fallu parler de toi de telle manière que maintenant nous devons vivre avec ce sentiment que tu vis. Je te dirais bien que j’ai moi-même quelques doléances envers mes parents, mais ça ne changerait rien à ce que tu ressens à mon égard.

Alors je veux aujourd’hui te demander pardon pour le mal que je t’ai fait. Je t’ai mal-aimé, en opposition au titre de cette lettre. Je t’ai mal-aimé parce que je suis incomplet, imparfait, un peu névrosé et souvent tourmenté par mes propres démons intérieurs. Je suis ce que je suis, le père que tu as eu. Je me présente aujourd’hui à toi comme un être démuni, mendiant de ton pardon.