Fidèle à mon habitude, j’ai longuement réfléchi avant d’écrire mon « écho » au dernier article de Jocelyn. Je trouve toujours difficile d’écrire quelque chose d’intelligent à la suite de Jocelyn dont l’écriture coule aussi facilement qu’un ruisseau ! Je vous confie donc humblement ces quelques réflexions.
J’étais, moi aussi, très excitée à l’annonce de la naissance de cette petite Aurélie que nous attendions depuis longtemps. Les parents ayant déjà choisi son prénom, il était agréable de nous préparer le coeur à sa venue. Elle était désirée… Je n’ai d’abord pas vraiment cru qu’elle pouvait être née trisomique: après tout, le sang « indien » de ses ancêtres maternels pouvait bien être à l’origine de son faciès un peu différent! Bien entendu, le fait qu’elle soit porteuse de la trisomie 21 ne me dérangeait nullement. Je l’ai d’ailleurs tout de suite surnommée « ma précieuse ». Bien entendu aussi, je me faisais un peu (vraiment juste un peu !) de souci pour notre fils et sa conjointe : comment accueilleraient-ils cette réalité? Qu’auraient-ils à vivre à cause de cette différence? Sauraient-ils y faire face? Mais à part ces questions, je n’avais aucun doute sur leur ouverture face à la personne différente qu’est et que sera Aurélie. Je connais leur coeur : ils savent aimer sans conditions. Et j’ai vibré à la joie de Steve qui se sentait plus proche de nous à cause de cette enfant. Il nous demandait déjà des conseils… et cette reconnaissance de nos compétences, pour un parent, c’est toujours gratifiant!
Je sais un peu à quoi Annie et Steve devront faire face. Heureusement, j’étais moi-même assez « âgée » quand nous avons adopté François. Par ce fait, et par le fait de notre expérience de parents, j’étais un peu préparée à assumer le regard des gens. J’avoue avoir été (presque) toujours amusée du regard que posent les gens, surtout les enfants, sur François… Ils sont intrigués, voire effrayés par ses comportements un peu « bizarres ». Parfois un enfant risque une question… Et je choisis de leur expliquer sa différence lorsque je le juge nécessaire. Mais toujours je trouve cela intéressant d’observer leurs réactions.
Ce qui me fait dire « Pourquoi pas? » à l’arrivée d’Aurélie, c’est en premier lieu parce qu’Annie et Steve avaient déjà, dans le passé, dit qu’ils seraient ouverts, même désireux d’ouvrir leur foyer à un enfant différent. Pour eux, à ce moment là, il s’agissait d’adopter un enfant. Mais la Vie leur a fait ce cadeau, sans avoir à passer dans le « collimateur » des démarches exigeantes et parfois blessantes pour en arriver au « droit » à l’adoption!
Ces personnes différentes ont tant à nous offrir ! Elles sont comme la vague qui façonne lentement les rochers, les amenant à perdre leurs contours pointus et coupants pour leur donner une brillance et une douceur où il fait bon se poser. Ils sont comme la meule qui fait lentement émerger le diamant d’une pierre en apparence ordinaire.
On nous dit souvent que nous sommes « admirables, bons, généreux… » Mais, toujours, je résiste à me voir ainsi, à me péter les bretelles de contentement. Nous sommes… JE suis d’abord et avant tout une petite personne bien bien bien ORDINAIRE. Pas admirable. Pas généreuse. Pas extraordinaire. Non. ORDINAIRE. Je suis toujours fascinée par les gens qui font des choses hors de l’ordinaire. Je me questionne souvent sur leurs motivations. Par exemple, qu’est-ce qui peut pousser un gars à sauter d’une navette spatiale à partir de l’espace? Pour quelle raison devient-on champion olympique? Qu’est-ce que ça rapporte de perfectionner l’art de la conduite en F1? Pour qui décide-t-on de grimper l’Everest? Tous ces gens sont des personnes « ordinaires » au départ… Il leur faut endurer bien des sacrifices, des difficultés, de l’incompréhension parfois. Il leur faut se donner une discipline de vie pour atteindre leurs objectifs. Mais ils le font parce qu’ils ont un rêve. Un rêve plus grand que nature parfois ! Ces « héros » que l’on admire sont devenus des personnes hors du commun un jour à la fois… un petit pas à la fois… un OUI à la fois… un jour à la fois… dans la joie ou dans la peine; dans la souffrance ou l’exaltation. Mais toujours un pas à la fois.
Il y a aussi ces gens plus « ordinaires » qui acceptent renoncements et sacrifices pour être les meilleurs dans leur domaine, ou tout simplement se dépasser continuellement. Chacun de nous poursuit un but. Chacun de nous a son rêve et fait tous les efforts requis pour y correspondre. Moi, mon rêve était d’être la meilleure maman que je puisse être. Parfois j’y arrive et je me sens à la hauteur… Mais bien plus souvent qu’autrement, je suis déçue de mes performances ! Cependant je garde le cap. Tous les jours je me rappelle mon OUI. Et c’est ce qui me pousse à accepter les contraintes et les renoncements reliés à mon choix de vie.
C’est cette attitude à la base qui m’a amenée à être capable de dire OUI à ce défi d’accueillir des enfants différents. On y arrive un renoncement à la fois; un oui à la fois; un bonheur à la fois… C’est pourquoi j’ai envie de dire « Aurélie, trisomique? Pourquoi pas? » Elle leur apprendra à eux aussi à dire oui, malgré l’envie de dire non parfois. À avancer, malgré la tentation de renoncer souvent. À découvrir les grands bonheurs cachés dans les petites choses. À se voir capables là où ils doutaient d’eux. À ressentir la fierté de voir cette enfant se frayer un chemin dans le cœur des plus endurcis. Mais d’abord et surtout, ils goûteront l’amour inconditionnel et le pardon sans retour que nous offrent ces êtres dépourvus de rancœur et de malice. Et ça, c’est sans aucun doute le plus beau cadeau que nous puissions trouver sur terre !