Une demande qui fait du bien

Je n’ai pas eu l’occasion si souvent d’être parrain. Dans ma famille, certains accumulent ces rôles auprès de plusieurs enfants, parfois jusqu’à six, huit fois! Bon, je l’ai quand même été quatre fois: pour ma soeur Hélène, alors que j’avais 14 ans; pour Alexandra, la première fille de mon frère Nicolas; pour le fils d’un ami dont le lien s’est rompu trop tôt pour demeurer dans sa vie, malheureusement; et enfin pour ma première petite-fille Mélodie. Les trois premiers sont aujourd’hui des adultes et n’ont plus guère besoin d’un parrain… En fait, je ne sais pas trop, je ne peux pas le dire à leur place.

En ce qui me concerne, même si mes grandes filleules sont devenues adultes et qu’elles se débrouillent bien, je garde pour elles un attachement singulier, c’est plus fort que moi. Il ne m’arrive pas une seule fois de rencontrer l’une ou l’autre sans que quelque chose ne vienne me rappeler que j’ai ce lien mystérieux avec elles. J’appellerais cela une sorte de sollicitude, une attention qui traverse le temps, un souci de savoir qu’elles vont bien. En acceptant d’être leur parrain, je savais que je devais être prêt, s’il le fallait, à me rendre disponible pour elles. À part quelques petites interventions bien insignifiantes, la vie ne m’a rien demandé de plus que de me faire proche, même à distance, et de leur garder ma sollicitude bien vivante.

Une autre fois…

Récemment, au « shower » de ma nouvelle nièce, sa grand-maman me demandait si j’avais été surpris d’avoir été demandé comme parrain. J’ai hésité à répondre. Pour comprendre mon hésitation, je dois vous renseigner quelque peu sur le contexte. Avec mon épouse, nous sommes parents de cinq enfants adoptés. Les deux derniers nous ont été confiés par l’entremise de deux associations apparentées appelées Emmanuel (voir Emmanuel France et Emmanuel Québec). À la suite de notre retour au Québec, en 2003, avec notre petit François, trisomique 21 d’origine africaine, nous avons appris à connaître notre nouvelle belle-soeur. Celle-ci s’était montrée sensible à la différence de notre fils, car elle a une soeur présentant une déficience intellectuelle. Tout comme Céline, ma femme, ma belle-soeur n’a jamais pu être enceinte. Avec mon frère, elle caressait le désir de pouvoir adopter un enfant. François leur est apparu comme un être unique, une véritable boule d’amour. L’adoption d’un enfant présentant une trisomie 21 est devenue pour eux d’abord une possibilité, puis un projet. Grâce à Emmanuel, ils ont pu adopter un petit garçon qui a maintenant quatre ans. On peut dire qu’il respire l’amour à pleins poumons! Et le couple attendait depuis belle lurette l’appel d’Emmanuel pour un nouvel enfant. À leur âge, ils s’étaient donné certains critères, mais avec le temps qui passe, ils commençaient peut-être à envisager qu’il n’y aurait pas de suite. Voici que cet automne, ils ont reçu le coup de fil qui chavire le coeur, à vie! Un bébé naissant, une petite fille, porteuse de la trisomie 21 et « sauvée » grâce à sa gémellité, exactement comme notre François…

Nous avons été parmi les premiers à nous réjouir avec eux de cette nouvelle. Quand on est « parent adoptant », on vit par empathie tout ce que le couple devra traverser. L’attente est la pire des tortures, car il ne suffit pas de recevoir la nouvelle d’un enfant pour nous. La plupart du temps, il y a un délai administratif, d’abord frustrant, qui finit par mettre en colère! Mais tout cela se répare généralement lorsque l’enfant est enfin dans les bras de son parent pour la première fois. Bref, mon frère et ma belle-soeur ont enfin accueilli cette petite merveille depuis quelques semaines. J’avais osé, dans la période d’attente, tendre une perche à mon frère: « Pensez à nous parmi votre liste de parrains-marraines! » Au fond, j’avais l’intuition que la perche n’avait pas besoin d’être tendue. Le lien que nous avons avec ce couple et l’amitié qui s’est développée au cours des années avec mon frère me permettait cet espoir. Alors « surpris »? Non, mais avec la grand-mère, le mot juste n’est pas venu à mes lèvres. Je crois que j’aurais dû tout simplement lui répondre: « ça fait du bien ».

Le début d’une relation fidèle

filleuleOui, du bien! Je serai donc parrain de nouveau, avec ma femme pour m’épauler et pour « doubler » la très jeune marraine choisie, une autre de mes nièces qui a une probabilité d’un plus long parcours de vie avec sa première filleule. Pour elle comme pour moi, je crois que le véritable sentiment qui vient avec « les honneurs » serait celui qui prend source dans la reconnaissance. Être reconnu, ça ne peut que faire du bien. Car bien avant d’être une responsabilité, c’est un geste de reconnaissance de la part des parents. Parmi tous les possibles, c’est mon nom qui a été tiré du sac, non pas au hasard, mais après mûre réflexion. De la part de mon frère et de ma belle-soeur, c’est comme si j’entendais de leur bouche : « Tu comptes beaucoup à mes yeux, tu as du prix et je t’aime » (cf. Isaïe 43, 4) C’est presque déjà le baptême!

Être reconnu, c’est aussi le premier moment d’un mouvement qui va jusqu’à l’action de grâce. Et mon action de grâce, en ce jour, la voici…

Je te rends grâce, Père, pour la vie de cette petite chose toute fragile que j’ai tenue dans mes bras comme un trésor précieux. Je te dis merci d’avoir inventé une telle astuce pour qu’elle puisse naître, en permettant qu’elle cohabite aux jours de son engendrement avec une soeur qu’elle ne connaîtra jamais. Je te dis merci de l’avoir préparée pour mon frère et ma belle-soeur, comme un projet confié qu’il leur reviendra d’accomplir selon ton désir. Je te rends grâce pour ta confiance, à travers eux, que Céline et moi sommes capables d’ouvrir à nouveau notre coeur, non plus pour un enfant à nous, mais pour aimer celle-là d’une manière particulière. Et je te demande de nous soutenir, de me tenir la main pour ne pas faillir, afin que je puisse à jamais lui réserver ma plus tendre sollicitude. Et par dessus-tout, comme elle sera pour toujours une personne au coeur d’enfant, je te demande de rendre sa vie féconde, comme tu le fais pour tous tes préférés, et ainsi, en faisant se tourner les coeurs vers elle, pour être touchés par elle, qu’à travers elle ces êtres en viennent à croire que ta toute-puissance divine n’est rien d’autre que l’amour fou qui nous embrase, comme lorsque nous tenons dans nos bras, pour quelques instants, un être si vulnérable. N’est-ce pas ce que tu nous donnes de vivre encore et encore à chaque Noël, quand nous célébrons la mémoire de ce petit être divin posé sur la paille, ton propre Fils confié à l’humanité?

« Pourquoi pas ??? » (écho)

OLYMPUS DIGITAL CAMERAFidèle à mon habitude, j’ai longuement réfléchi avant d’écrire mon « écho » au dernier article de Jocelyn. Je trouve toujours difficile d’écrire quelque chose d’intelligent à la suite de Jocelyn dont l’écriture coule aussi facilement qu’un ruisseau ! Je vous confie donc humblement ces quelques réflexions.

J’étais, moi aussi, très excitée à l’annonce de la naissance de cette petite Aurélie que nous attendions depuis longtemps. Les parents ayant déjà choisi son prénom, il était agréable de nous préparer le coeur à sa venue. Elle était désirée… Je n’ai d’abord pas vraiment cru qu’elle pouvait être née trisomique: après tout, le sang « indien » de ses ancêtres maternels pouvait bien être à l’origine de son faciès un peu différent! Bien entendu, le fait qu’elle soit porteuse de la trisomie 21 ne me dérangeait nullement. Je l’ai d’ailleurs tout de suite surnommée « ma précieuse ». Bien entendu aussi, je me faisais un peu (vraiment juste un peu !) de souci pour notre fils et sa conjointe : comment accueilleraient-ils cette réalité? Qu’auraient-ils à vivre à cause de cette différence? Sauraient-ils y faire face? Mais à part ces questions, je n’avais aucun doute sur leur ouverture face à la personne différente qu’est et que sera Aurélie. Je connais leur coeur : ils savent aimer sans conditions. Et j’ai vibré à la joie de Steve qui se sentait plus proche de nous à cause de cette enfant. Il nous demandait déjà des conseils… et cette reconnaissance de nos compétences, pour un parent, c’est toujours gratifiant!

Je sais un peu à quoi Annie et Steve devront faire face. Heureusement, j’étais moi-même assez « âgée » quand nous avons adopté François. Par ce fait, et par le fait de notre expérience de parents, j’étais un peu préparée à assumer le regard des gens. J’avoue avoir été (presque) toujours amusée du regard que posent les gens, surtout les enfants, sur François… Ils sont intrigués, voire effrayés par ses comportements un peu « bizarres ». Parfois un enfant risque une question… Et je choisis de leur expliquer sa différence lorsque je le juge nécessaire. Mais toujours je trouve cela intéressant d’observer leurs réactions.

Ce qui me fait dire « Pourquoi pas? » à l’arrivée d’Aurélie, c’est en premier lieu parce qu’Annie et Steve avaient déjà, dans le passé, dit qu’ils seraient ouverts, même désireux d’ouvrir leur foyer à un enfant différent. Pour eux, à ce moment là, il s’agissait d’adopter un enfant. Mais la Vie leur a fait ce cadeau, sans avoir à passer dans le « collimateur » des démarches exigeantes et parfois blessantes pour en arriver au « droit » à l’adoption!

Ces personnes différentes ont tant à nous offrir ! Elles sont comme la vague qui façonne lentement les rochers, les amenant à perdre leurs contours pointus et coupants pour leur donner une brillance et une douceur où il fait bon se poser. Ils sont comme la meule qui fait lentement émerger le diamant d’une pierre en apparence ordinaire.

On nous dit souvent que nous sommes « admirables, bons, généreux…  » Mais, toujours, je résiste à me voir ainsi, à me péter les bretelles de contentement. Nous sommes… JE suis d’abord et avant tout une petite personne bien bien bien ORDINAIRE. Pas admirable. Pas généreuse. Pas extraordinaire. Non. ORDINAIRE. Je suis toujours fascinée par les gens qui font des choses hors de l’ordinaire. Je me questionne souvent sur leurs motivations. Par exemple, qu’est-ce qui peut pousser un gars à sauter d’une navette spatiale à partir de l’espace? Pour quelle raison devient-on champion olympique? Qu’est-ce que ça rapporte de perfectionner l’art de la conduite en F1? Pour qui décide-t-on de grimper l’Everest? Tous ces gens sont des personnes « ordinaires » au départ… Il leur faut endurer bien des sacrifices, des difficultés, de l’incompréhension parfois. Il leur faut se donner une discipline de vie pour atteindre leurs objectifs. Mais ils le font parce qu’ils ont un rêve. Un rêve plus grand que nature parfois ! Ces « héros » que l’on admire sont devenus des personnes hors du commun un jour à la fois… un petit pas à la fois…  un OUI à la fois… un jour à la fois… dans la joie ou dans la peine; dans la souffrance ou l’exaltation. Mais toujours un pas à la fois.

Il y a aussi ces gens plus « ordinaires » qui acceptent renoncements et sacrifices pour être les meilleurs dans leur domaine, ou tout simplement se dépasser continuellement. Chacun de nous poursuit un but. Chacun de nous a son rêve et fait tous les efforts requis pour y correspondre. Moi, mon rêve était d’être la meilleure maman que je puisse être. Parfois j’y arrive et je me sens à la hauteur… Mais bien plus souvent qu’autrement, je suis déçue de mes performances ! Cependant je garde le cap. Tous les jours je me rappelle mon OUI. Et c’est ce qui me pousse à accepter les contraintes et les renoncements reliés à mon choix de vie.

Annie-AurélieC’est cette attitude à la base qui m’a amenée à être capable de dire OUI à ce défi d’accueillir des enfants différents. On y arrive un renoncement à la fois; un oui à la fois; un bonheur à la fois… C’est pourquoi j’ai envie de dire « Aurélie, trisomique? Pourquoi pas? » Elle leur apprendra à eux aussi à dire oui, malgré l’envie de dire non parfois. À avancer, malgré la tentation de renoncer souvent. À découvrir les  grands bonheurs cachés dans les petites choses. À se voir capables là où ils doutaient d’eux. À ressentir la fierté de voir cette enfant se frayer un chemin dans le cœur des plus endurcis. Mais d’abord et surtout, ils goûteront l’amour inconditionnel et le pardon sans retour que nous offrent ces êtres dépourvus de rancœur et de malice. Et ça, c’est sans aucun doute le plus beau cadeau que nous puissions trouver sur terre !