Prendre un enfant… ça change la donne

Cet article fait suite à La vie avec un « bébé » de 12 ans… et surtout à Un oui doublement initié par nos enfants qu’il convient de lire préalablement. Pour un sommaire de tous les articles publiés dans l’ordre, voir Pour une lecture suivie de ce blogue.

Était-il mieux avec nous, dans une vraie famille?

L’histoire de l’adoption de Christian est arrivée si soudainement dans nos vies que nous avions omis de faire une chose très importante avant de dire oui et de le prendre chez nous: en discuter avec la personne chargée de l’adoption dans notre Département. De fait, le fameux agrément pour une adoption d’un bébé  ne nous avait toujours pas été accordé par la Commission départementale Enfance-Famille puisqu’il restait une dernière étape. Dès lors que la personne chargée de l’adoption, Mme Cattin-Brugière, a appris la nouvelle de l’arrivée de Christian à la maison, elle s’est montrée très vexée. L’expression qu’elle a utilisée, compte tenu que notre dossier avait très bien progressé, était « Vous nous avez floués ». J’ai bien tenté de lui expliquer les circonstances dans lesquelles Christian était apparu chez nous, mais visiblement, nous avions manqué de respect par rapport à son pouvoir de recommandation auprès de la Commission départementale et elle ne se montrerait plus favorable à notre égard.

La dernière étape consistait en une évaluation sociale, les autres étant médicale et psychologique. Une travailleuse sociale, Céline Bonnet, nous a rencontrés à deux reprises en octobre 2001, au plus fort des difficultés vécues avec Christian et des conséquences avec ses deux grands frères. Le rapport d’évaluation qu’elle rédigea est éloquent. J’en cite quelques passages:

En ce qui concerne Cristian, Steve trouve qu’il est pénible. Il n’aime pas la façon dont il parle à ses parents. Il dit néanmoins « J’ai pas envie qu’il parte parce qu’il va se retrouver sans famille. Je le considère comme un ami, pas comme un frère. »

Stéphan dit: « Avec Cristian, au début, c’était cool. Maintenant, finalement, c’est pas si bien. Il est trop rebelle. Maintenant, il fait un peu plus d’effort mais il discute pas. J’ai pas envie qu’il parte, mais en même temps, parfois, je veux pas qu’il reste. »

À propos de Cristian: « Selon les psychologues, il n’est certainement pas prêt à vivre dans une famille. » Cristian dit lui-même: « je ne sais pas si je veux rester. C’est trop dur. Il y a des crises des fois, il y a trop de règles. Céline est exigeante. D’un côté, j’aimerais rester. De l’autre je ne sais pas si je veux qu’ils m’adoptent. Ils sont gentils avec moi. Ils me lisent des histoires. Ils font des efforts avec moi pour m’aider. J’aimais bien aussi être au centre. »

Monsieur et Madame Girard disent que la vie au quotidien avec Cristian est difficile. « Il a beaucoup de mal à accepter les limites. On dirait qu’il ne trouve pas de sens à vivre en famille. Parfois, on a l’impression qu’il veut tout détruire autour de lui. Il s’oppose beaucoup et il est en même temps charmant. Cristian conçoit la famille comme un lieu où on le gâte et c’est tout.  Il souhaiterait pouvoir être seul, sans autre enfant. On se demande souvent si nous on pourra tenir et surtout si lui il tiendra. »

Avec toutes ces remarques, on comprend bien que la conclusion de la travailleuse sociale fut assez réservée:

La venue de Cristian au sein de leur foyer est très récente. Son statut est encore flou et son avenir incertain. De par ses troubles, Cristian a perturbé l’équilibre existant et chacun des membres de la famille doit retrouver sa place.  […] Face à ces éléments, j’émets un avis réservé pour l’agrément de Monsieur et Madame Girard pour l’accueil d’un bébé à particularité. Un délai supplémentaire permettrait à cette famille d’accueillir un enfant dans les meilleures conditions possibles.

Lorsque nous avons pris connaissance de ce rapport, nous y avions vu un certain espoir. Il allait de soi que nous n’avions pas agi de la meilleure manière en prenant Christian avec nous sans consulter les services sociaux. Céline regrettait parfois que nous ayons fait ce choix. Je m’entêtais le plus souvent à repousser ce jugement sur nous-mêmes en me raccrochant à la conviction d’avoir accueilli Christian à la suite de ce que j’avais senti comme une interpellation évangélique.

Malheureusement, le pire scénario s’avéra. En décembre 2001, Mme Cattin-Brugière nous appela pour nous annoncer que la Commission fermait notre dossier. Elle continuait de nous reprocher de l’avoir flouée. Il faut savoir qu’un refus d’agrément nous obligeait à attendre deux ans avant de pouvoir formuler une nouvelle demande, ce qui, dans notre cas, n’était pas envisageable puisque nous savions que nous ne serions plus en France dans cet horizon de temps.

Je fis donc appel de cette décision. Dans une lettre sans doute convaincante, je demandais à la présidente de la Commission de nous entendre en personne pour expliquer nos choix et pour que les membres nous accordent un délai de temps plutôt que sanctionner par une décision définitive. La présidente accéda à notre requête. Le 14 janvier 2002, nerveux et tendus, nous attendions dans un couloir froid que les dignes membres de la Commission daignent nous recevoir. Nous avions demandé à la communauté de prier pour que cette audience se passe bien. Il devait y avoir une bonne douzaine de commissaires autour de la table. Lorsque nous sommes entrés, peu de sourires, peu de regards. La présidente a formellement rappelé les faits, notamment le refus de nous accorder un agrément pour cause de changement dans la composition familiale ayant perturbé l’équilibre et rendu l’accueil d’un nouvel enfant incertain. Céline et moi avons alors raconté notre histoire, comme si nous faisions un témoignage sur nos choix, ce qui nous avait conduit à accueillir Christian à l’insistance de nos jumeaux, notre âge qui commençait à se faire sentir, notre projet probable de départ de la France en 2003 et la possibilité que nous n’ayons plus accès à l’adoption dans notre pays, etc. Nous avons également parlé du changement d’attitudes de Christian durant notre voyage au Québec. Je ne sais plus combien de temps nous avons parlé, trois-quart d’heure, peut-être plus. La qualité d’écoute était touchante. Après quelques questions, nous avons renouvelé notre demande: donnez-nous six mois et réévaluez ensuite notre famille pour constater si les conditions seront devenues plus favorables à l’intégration d’un autre enfant. On nous a remerciés, cette fois-ci avec des sourires et des poignées de main. C’était bon signe. Le lendemain, Mme Cattin-Brugière nous écrivait pour nous annoncer ceci:

Suite à la commission du 14 janvier, et à votre présence ce jour là, je vous confirme que nous avons senti et apprécié vos qualités de coeur, votre disponibilité à l’égard des enfants présents et à venir, et que l’opinion de la Commission est plutôt favorable. Néanmoins, au regard de l’agrément, la Commission a estimé que les deux projets que vous poursuivez sont en « téléscopage » aujourd’hui. Je vous propose donc de réétudier votre situation en commission au mois de juillet 2002.

La Commission avait donc consenti à renverser sa décision en nous donnant le fameux sursis qui permettrait, peut-être, d’obtenir une évaluation, cette fois-ci plus concluante. Nous étions dans une joie immense, comme si nous avions gagné quelque chose de grand. Nous étions surtout dans l’action de grâce. Il paraissait possible que l’intuition que nous avions eue d’avoir été « appelés » à accueillir Christian dans notre famille ferait en sorte que les barrières tomberaient une à une…

Une deuxième chance

Au début de juin 2002, nous recevions la visite d’une autre travailleuse sociale, Christina Laporte. Celle-ci avait pris connaissance de notre cheminement et de la décision de la Commission. Naturellement, elle avait aussi lu le rapport de sa collègue. Elle souhaita néanmoins ne pas tenir compte de manière trop déterminante du passé pour se faire une idée de la famille que nous formions à ce moment-là. Son rapport traite longuement de l’évolution de Christian dans la famille et notamment de son passage au Québec. Entre autres, Mme Laporte y mentionne ceci, en nous citant:

« Déjà l’arrivée de Cristian a été positive. Elle a permis d’ouvrir le carré, le face à face d’avec nos jumeaux. Cristian a ouvert une brèche. Grâce à lui, Steve et Stéphan se sont apaisés. Ils ont compris qu’il y avait une cohérence dans l’éducation que nous leur donnions, dans la mesure où nous donnions la même à Cristian. Les jumeaux se sont beaucoup responsabilisés […] Ce qui est important c’est que nous soyons disponibles pour chacun de nos enfants. »

En conclusion, la travailleuse sociale affirme ceci:

Leur projet d’adoption apparaît réalisable. Ils ont su prendre du recul par rapport à leur situation et le délai demandé par la commission leur a été profitable. […] L’équilibre familial des Girard est récent, donc encore fragile. Cependant, ils sauront apporter à un enfant de l’amour et un foyer serein, équilibré. Leur réflexion est riche, mûrie concernant l’accueil d’un enfant. Ils sauront faire face au fait que l’arrivée d’un autre enfant nécessitera de trouver de nouveaux repères. […] Face à ces éléments, j’émets un avis favorable pour l’agrément d’un enfant âgé de deux ans au maximum, pupille de l’État ou étranger, à particularité ou pas.

Cette nouvelle évaluation répondait entièrement à nos attentes. Ne restait plus que la décision de la Commission, attendue en juillet. La lettre datée du 30 juillet 2002 confirmait la décision favorable:

M. et Mme Girard sont agréés pour l’accueil en vue d’adoption d’un enfant, pupille de l’état ou étranger, âgé de zéro à deux ans. Cet agrément est valable 5 ans à compter du 29 juillet 2002. […] M. et Mme Girard remplissent les conditions requises par la législation française pour adopter.

Nous nagions dans le bonheur! Mais les choses pouvaient encore se compliquer, car notre décision de quitter la France venait d’être prise et annoncée à la communauté de L’Arche de la Vallée. Mon rôle de directeur s’arrêterait fin février 2003, soit deux mois après la date prévue du mandat. Le conseil d’administration avait refusé ma demande de prolonger mon mandat ou me confier un autre rôle jusqu’à la fin de l’année scolaire. Nous allions donc déménager en plein hiver, avec ou sans un autre enfant.

Les nouvelles étapes à accomplir formaient une autre montagne gigantesque : trouver une association qui pourrait rapidement nous confier un enfant, terminer les procédures d’adoption de Christian, nous lancer dans celles du nouveau bébé sans qu’il soit possible de les compléter en France, obtenir, donc que les évaluations post-placement faites à partir du Québec soient validées par la France, réaliser les démarches en vue de l’immigration canadienne, etc. Bref, l’automne s’annonçait chaud! Je vous raconte tout ça dans le prochain article…

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