Avertissement: si vous arrivez sur cet article sans avoir lu les précédents, il est conseillé de commencer par le début. Mais vous pouvez quand même prendre le train en marche…
Pour que vous puissiez me suivre, je dois préciser quelques différences d’attitudes qui nous distinguent, ma femme et moi. Sachez qu’on nous avait prédit à maintes reprises que nous ne pourrions pas former un couple, pas longtemps en tout cas! Toutes les « interpréteuses » de signes, toutes les pseudo-astro-médiums à qui nous ne le demandions surtout pas, condamnaient notre couple par avance en raison de notre incompatibilité évidente et du mal que nous pourrions nous faire l’un et l’autre…
Dire oui en même temps, le vrai défi
Moi, je suis un rêveur. J’ai toujours rêvassé à des changements, des voyages, des rencontres extraordinaires, etc. Plus jeune, je m’imaginais spontanément dans des rôles prestigieux. En rêve, j’ai commencé ma « carrière » comme missionnaire. J’ai visité l’Afrique, évangélisé l’Amérique latine. J’ai étudié dans les grandes universités. Rien ne m’était inaccessible, même pape! (Oh! Comme je serais mal dans la peau d’un pape ces jours-ci!) Un jour, j’ai été médecin et c’est moi qui ai eu l’intuition de Médecins sans frontières. Un autre jour, j’étais économiste et mes travaux de recherches permettaient d’inventer le système économique pour le 3e millénaire et la survie de l’humanité. Un jour, j’allais succéder à René Lévesque et j’allais contribuer à construire un Québec fier de lui-même et reconnu comme un « grand » petit pays! Si vous avez lu le récit de ce blogue, vous aurez compris pourquoi j’avais choisi de commencer comme jésuite, car un jésuite, ça étudie, ça voyage, ça change le monde, ça peut même (en théorie) devenir pape… Mégalomane? Ne vous inquiétez pas, je sais revenir sur terre…
Céline était une fille d’un minuscule village de Charlevoix. Seule fille parmi 8 garçons, elle a dû rapidement se mettre aux travaux ménagers pour soutenir sa mère. Son horizon était vaste car elle avait le grand fleuve St-Laurent au confluent du Saguenay comme panorama. C’est peut-être cette vue quotidienne qui lui donnait de rêver, elle aussi, de voyages. Comme elle le dit elle-même souvent, partir de chez elle pour étudier à Chicoutimi, c’était déjà un grand voyage! Plutôt timide, un peu « sauvage », chaque pas dans la nouveauté présentait un caractère extraordinaire: quitter « son temps d’une paix » pour Chicoutimi; revenir à St-Siméon pour son premier poste d’infirmière; s’intégrer à un institut séculier féminin tout en changeant de municipalité et de travail; tout quitter et revenir à Chicoutimi plutôt mal en point, reprendre un petit travail hors de son champ d’études, n’avoir, finalement plus beaucoup d’aspirations, sauf trouver un mari plus grand et plus âgé (ce que je ne suis pas) et avoir quelques enfants, surtout des filles (que nous n’avons pas eues)… En clair, Céline avait plutôt envie d’une vie rangée, centrée sur la petite famille, à l’abri des problèmes du monde.
Bref, elle avait marié un petit jeune, adopté deux garçons, et poussé la famille à s’installer à l’écart de Québec, à Notre-Dame-des-Laurentides, où elle retrouvait derrière la maison la forêt vaste comme dans son enfance plutôt que des voisins gênants… Et moi, au coeur de cette « petite vie », je continuais de faire des projets. À chaque fois que je voyais quelqu’un faire une expérience hors de l’ordinaire, je me projetais dans ses pas. L’entreprise où je travaillais avait depuis quelque temps fait l’acquisition d’un petit bureau de recrutement à Paris. Quelques conseillers y étaient détachés pour des périodes plus ou moins longues. J’étais très intéressé de connaître ce qu’ils avaient vécu et vu. J’avais partagé à Céline ce rêve de partir un an, en famille, pour vivre et travailler là-bas. Ce serait bon pour les enfants, une expérience unique, et ils profiteraient pour s’enrichir d’une autre culture… J’avais bien des arguments, mais je frappais chaque fois le mur de béton que j’ai résumé ainsi : « Non, jamais en 100 ans »! De plus, je n’avais pas de qualifications pour un poste en informatique, alors je pouvais bien rêver.
Les non de Céline étaient si fréquents qu’ils avaient un effet pernicieux sur moi. Sa réaction primaire était toujours négative. Elle avait toujours mille raisons pour refuser. Les enfants étaient le plus souvent sa raison essentielle: ne pas les perturber, ne pas les changer de routine, ne pas les faire dormir en voiture pour éviter qu’ils soient fatigués, etc. Lorsque j’arrivais à casser ses arguments en arrangeant les choses, elle avait d’autres raisons. Quand il n’en restait plus, elle me servait alors le fameux « j’ai pas envie, bon! » Je pouvais toujours rêver, ça n’arriverait pas. Sauf que… Sauf que lorsqu’elle a dit oui pour quitter Chicoutimi et s’installer à Québec, je n’étais pas prêt. Lorsqu’elle a dit oui pour les jumeaux, je n’étais pas prêt. Lorsqu’elle s’est mise à chercher une autre maison, je n’étais pas prêt. Assumer les conséquences de nos oui semblait plus difficile pour moi, car je devais me préparer après coup!
Je travaillais depuis 1990 dans l’entreprise de mon frère Mario et son associé Julien. Nous étions à un moment charnière chez GESPRO Informatique car les deux associés étaient à un carrefour dans leur relation professionnelle. Ils avaient choisi de se séparer et de répartir les actifs de l’entreprise. Julien partait avec les affaires européennes et marocaines, Mario restait avec celles du Québec en compagnie du troisième actionnaire, la Coopérative de travailleurs (je raconterai peut-être cette histoire une autre fois). Julien cherchait un autre « homme » à envoyer à Paris en lieu et place de celui qui était directeur là-bas. Différentes personnes lui avaient glissé le nom de Jocelyn pour occuper ce poste, dont Mario… Devant cette convergence, Julien finit par me demander de le rencontrer pour discuter de mon intérêt éventuel. J’étais, vous en doutez, enthousiaste à l’idée, mais je savais que je devrais partir seul, pas question. J’ai donc simplement écouté Julien et répondu poliment que j’en parlerais avec mon épouse…
« Jamais en 100 ans! » fut la réponse de Céline (plus ou moins). Hors de question. Nous venions juste de nous installer dans cette nouvelle maison. Les jumeaux venaient juste de commencer dans cette nouvelle école. Seule ma tristesse devant cette occasion manquée avait semblé la toucher… mais pas assez.
Un doctorat avec ça?
Depuis quelques mois, je mettais les bouchées doubles pour terminer ma thèse de doctorat, un programme commencé en 1986. Je devais tout terminer avant 10 ans sinon tout était perdu. J’avais obtenu un dernier délai. Je finis donc par clore le fameux manuscrit et le déposer avant la fin de l’année 1996. La défense avait été fixée au 13 mars 1997. Un jury formé de quelques pontes québécois de la théologie m’entendit, débattit et délibéra. Ce soir-là, par moins 32 degrés, devant quelques membres de ma famille qui avaient osé affronter le froid à Chicoutimi, on me recommanda unaniment pour le titre de Philosophiae Doctor (Ph.D.). On fit donc la fête chez mes parents. Après une ou deux coupes de champagne (peut-être plus), Céline, dans l’effervescence du moment, lança tout de go: « Qu’en diriez-vous si nous partions toute la famille pour un an à Paris? » Vous imaginez ma surprise! Bien entendu, tout le monde s’est mis à questionner sur le projet, même si je m’empressais de dire que ce n’était peut-être plus possible, car j’avais tardé à répondre à Julien. Il était possible que le poste ne soit plus disponible.
Ce soir-là, quand nous nous sommes retrouvés seuls, nous avons beaucoup parlé. Le petit « exploit » que j’avais accompli en complétant un doctorat avec tout ce que nous avions vécu depuis notre mariage avait peut-être éveillé le goût d’aventures de ma Céline. En réalité, elle me confia qu’elle y voyait une façon de changer de décor, de quitter un environnement qui lui paraissait hostile… Elle était prête. Je ne l’étais pas! En fait, j’avais un petit boulot de responsable des communications, essentiellement à l’interne. Je connaissais les affaires par les diverses soumissions que je veillais à finaliser pour l’envoi aux clients. Mais diriger tout un bureau, avec le poids de la responsabilité du succès ou non, dans un contexte déjà pas très encourageant, dans une culture que je ne connaissais pas du tout, c’était quand même un défi de taille. Le oui de Céline devenait quasiment mon cauchemar. J’avais tellement poussé pour qu’elle consente que je ne pouvais plus reculer. J’ai vite fait de revoir Julien dès le lendemain et nous avons pu discuter concrètement. Il a confirmé son intérêt dans ma candidature. J’allais partir le 31 mai et être formé pendant un mois par le directeur de l’époque, Alain, que je connaissais bien et qui m’appréciait assez pour me supporter!
Je pris l’avion seul, le 31 mai et on m’offrit le petit appartement de la compagnie, dans le 11e arrondissement, tout près de la Bastille. Céline viendrait me rejoindre plus tard avec les enfants lorsque j’aurais trouvé notre lieu d’implantation. Une famille française louerait notre maison pour une année. J’ai trouvé un arrangement semblable pour notre famille, dès le début d’août. C’est ce qu’on appelle là-bas un pavillon, à Joinville-le-pont. Une sorte de maison adossée à une autre, avec un minuscule jardin. Mais, à la différence de Paris intra-muros, ça donnait l’impression d’être un peu chez nous.
Voilà donc un autre oui commun, celui de tout laisser derrière nous et de partir comme ça, ailleurs. Ça paraît simple. C’est plus compliqué, dans notre cas. Mais nous étions bien là. Je travaillais dans le 8e arrondissement, à deux pas des Champs-Élysées. Je remontais les affaires de l’entreprise qui devinrent florissantes en quelques mois. Nos garçons eurent cependant du mal à s’intégrer, leur scolarité battait déjà de l’aile au Québec, alors là-bas, il fallait s’accrocher. Céline avait une journée chaque semaine pour elle seule. Elle marchait des quartiers de Paris et revenait enchantée de ses découvertes. Dans un contexte où elle montrait un visage de plus en plus serein, pourquoi ne pas y rester une autre année? Ce oui là fut plus facile à synchroniser, jusqu’au moment où un vieil ami, Louis Pilote, entra en scène… Mais ça, c’est un autre chapitre!
La suite par ici : Le blues du business man—>
Je ne suis pas encore trop perdue…c’est bon signe non ? Merci du partage encore une fois !
souvenirs…
Thanks for sharing 🙂
Ping : Pour une lecture suivie… | Le Bonheur est dans les oui
Ping : Vivre en un lieu comme des étrangers | Le Bonheur est dans les oui
Ping : Un ange est passé dans notre vie | Le Bonheur est dans les oui